• La biche, le saint et le barbare

    Il était une fois un Arlésien nommé Gilles auquel sa tempérance et sa sagesse valent le qualificatif de "saint", se retire dans la solitude des arbres. Il bâtit une cabane de branches et vit au jour le jour, se nourrissant de racines et de baies sauvages, buvant l'eau d'une source pure.

    Un soir de pleine lune, il entend un froissement dans les broussailles. Dans l'ombre, il voit luire deux yeux ovales, à l'expression quasi humaine. C'est une biche, farouche et gracieuse, le sabot lisse et le cou souple comme une liane.

    Elle jette des regards craintifs en se désaltérant.

    "Bonjour, biche ! murmure saint Gilles. Je ne désire que la paix..."

    La biche détale. Le lendemain, elle revient boire. Elle a moins peur. Petit à petit, la confiance s'installe. L'homme et la bête sont maintenant amis. La journée, la biche va brouter. La nuit, elle dort dans la cahute de l'ermite.

    Un matin, la forêt retentit de cris, de galops, d'aboiements et d'appels de trompes. Wambo, le roi des Wisigoths est en chasse. Saint Gilles voit arriver la biche terrorisée, hors d'haleine, le poil trempé de sueur. C'est elle que les rabatteurs veulent offrir aux piqueurs. La pauvre a déjà été mordue par des chiens. Elle saigne. Saint Gilles la met à l'abri dans sa masure.

    Le roi fait irruption. 

    "Tu caches une bête qui m'appartient ! lance Wambo : la piste de sang mène à ta maison"

    - "Nul ne peut violer une demeure sans encourir la punition de Dieu, répond Gilles".

    - "Je renie Dieu ! ricane le Barbare, qui ordonne à ses hommes d'enfoncer la porte. Le roi en personne décide de "servir" l'animal.  Il brandit un poignard et le plonge dans le coeur de la biche. En agonisant, celle-ci se métamorphose en une merveilleuse jeune fille à la peau brune. Elle se met à parler d'une voix douce et triste : "je suis la nymphe tutélaire de cette forêt, dit-elle dans un dernier souffle. Puisque je peurs, la sylve entière s'anéantira avec moi".

    Elle rend l'âme. Son sang coule et s'unit à l'eau de la source. Par une étrange contagion, les herbes, les arbres, les bêtes, les humains se teignent de rouge, s'amollissent et s'écroulent ainsi que des statues d'argile détrempée. A l'exception de saint Gilles, la forêt, les chasseurs et tout ce qui respire se change en une étendue de boue plate, semée  d'étangs et coupée de chenaux qu'on appelle "roubines". Ainsi naît le marécage de Camargue.

    Aujourd'hui encore, ce marécage se teinte de rouge à l'automne, à la saison de la chasse, quand les feuilles de salicornes, nées de la glaise, prennent la couleur de sang de la nymphe poignardée.

    BICHE


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  • Commentaires

    1
    marialis
    Mercredi 12 Septembre 2012 à 20:58
    J'aime  toutes ces croyances  qui nous viennent du fond des temps et sentent bon les grands espaces, la forêt, les druides,les saints et ...les barbares, nos ancêtres à priori.... Nous continuons à tuer des biches et les forêts, l'eau, la glace ,tout disparait......Bises,A+
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