• Les forêts des songes, parfois y passent des anges. Ceux qui n'ont pas assez de poésie au coeur, ou qui ne sont pas restés proches de l'enfance, confondent ces esprits volants non identifiés avec des chouettes, des hiboux ou des écharpes dans la brume. Il s'agit bien d'anges.

    Il était une fois les Vosges. A l'est, la plaine du Rhin. A l'ouest, les douces inclinaisons forestières mènent à la Lorraine : un peuple de nymphes, de lutins et de trolls danse entre les sapins et les hêtres. Sous le Scheeberg, la cascade du Nideck dénoue sa blanche chevelure. On raconte que c'est une fée. Qu'elle est belle et maudite.

    Elle aimerait aimer quelqu'un, par exemple ce beau prince en habit bleu, noir et blanc qu'elle voit passer sur son cheval. Mais elle n'en a pas le droit. Si elle prenait un humain dans ses bras et lui donnait un baiser, un sortilège se déclencherait : le malheureux se métamorphoserait en animal, par exemple, en oiseau des bois, grand tétras, perdrix, hibou, pic-vert...

    Un jour, un prince s'assoit devant la cascade et reconnaît le doux visage de la fée Nideck. Il en tombe amoureux. Il veut l'étreindre. "Malheureux !" dit la fée. "Ne m'approche pas ! Ne me touche pas ! Ne baise pas mes lèvres : tu deviendrais oiseau"

    - "Jamais" dit le garçon. "Je serai ton serviteur. Peu importe que ce soit avec des plumes !".

    Ayant dit, il embrasse la fée et devient geai. Il garde, sur les épaules, les couleurs azur, noir et blanc de son habit de prince. On le voit encore, sur les rocs, entre les arbrisseaux de la cascade, venir tendrement bécoter celle qu'il chérit et à laquelle il a juré fidélité éternelle.

    Les nuages qui passent sur les ballons des Vosges, participent, eux aussi, à la légende et au fantasme. On raconte qu'un jour, un ange tomba du ciel. Un berger la recueille et en tombe amoureux. Le berger lui déclare sa flamme. Il est ravissant. L'ange n'est pas insensible à son charme. Mais les anges ne sont pas autorisés à éprouver d'autres désirs que celui de contempler Dieu.

    L'ange aime le berger mais ce dernier s'en lasse et délaisse l'ange pour quelqu'un d'autre. La créature céleste, bafouée, au désespoir, se jette du haut de la roche du Nideck. La trace immaculée de sa chute se transforme en cascade de pur argent. Qui trempe ses mains dans cette eau, ou s'en humecte les lèvres, ressentira bientôt le sentiment d'amour. 

     

    CASCADE

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  • Il était une fois, dans la forêt de Cernas, un énorme chêne de plus de cinq siècles. Il se laisse étreindre par un gros lierre. En automne, son pied s'entoure d'un peuple de champignons (des girolles jaune d'or). Parmi les humains qui s'arrêtent sous son ombre, il est capable de reconnaître les bons des méchants : il attire la foudre sur ceux qui ont commis des crimes.

    Un misérable orphelin, nommé Emmi, garde les cochons. Un jour, il trouve des favasses, ou favotes, sortes de gesses (ou poids de senteur) au tubercules délectables. Il voit un porc accourir pour fouiller le sol et manger les légumes sauvages avant lui. Il donne un coup de bâton sur le groin de l'animal et le blesse. Les cochons font cercle et le menacent. Emmi escalade le grand chêne pour leur échapper.

    La lune se lève. Sur sa branche, l'enfant entend une voix au timbre du vent : "Descends d'ici !" C'est l'arbre qui parle. 

    - "Ne me chasse pas maintenant" implore Emmi. "Tu m'as sauvé des porcs, ne me livre pas aux loups de la nuit !". Le chêne accepte. 

    Au matin, le garçon décide de rester sur le vieux chêne. Il aménage une cachette à la fourche de deux branches, en creusant une partie de bois carbonisée par la foudre. La nuit suivante, il note que le chêne entrecroise ses frondaisons avec celles du chêne voisin, qui les mêle à celles d'un autre arbre, et ainsi de suite. 

    La forêt entière ne fait plus qu'une. En marchant sur ces passerelles, on peut atteindre un pommier sauvage pour y cueillir des pommes ; ou un châtaignier pour avoir des châtaignes ; ou un noyer pour rapprocher des noix... Grâce aux fruits de la forêt et aux champignons dont il fait provision, Emmi passe l'hiver à la manière d'un écureuil.

    La seule personne humaine qu'il rencontre est une vieille folle, voûtée, cagneuse et boiteuse, qui bave en parlant et qui s'appelle Catiche. "Viens avec moi, dit la vieille au garçon : je te reconnaîtrai comme mon fils. Je te rendrai riche et heureux". Une grande voix de vent résonne : "Surtout n'y va pas !" C'est le chêne qui parle.

    Emmi n'écoute pas l'arbre. Il part avec la vieille, qui simule en réalité la déraison. Catiche est rusée, avide et cruelle. Elle vend l'enfant à une bande de brigands, lesquels le cèdent à leur tour à un maître bûcheron, qui le prend en amitié. Or, le bûcheron et son équipe ont reçu l'ordre du propriétaire de la forêt : "Abattez le grand chêne !".

    Emmi prend la défense de l'arbre. Il implore la pitié des manieurs de hache. Le maître bûcheron est désolé, mais n'y peut rien. C'est alors que le vieux chêne reprend la parole : "La méchante Catiche est malade dans sa masure, dit-il à Emmi. Elle va mourir. Elle a commis trop de péchés : elle redoute l'enfer et veut se racheter. Va la voir !". 

    Emmi trouve la vieille à l'agonie. Il lui pardonne. En rendant son dernier soupir, elle lui révèle qu'elle a enterré un coffre rempli de tous ses butins (une fortune !) près du grand chêne, sous les girolles dont la teinte évoque un semis d'écus d'or.

    Emmi devenu riche, rachète la forêt. Il vit heureux auprès de son arbre.

    CHAMPIGNONS


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  • Un pauvre bûcheron vivait avec ses sept fils dans une cabane de la forêt. Un jour, il réunit ses enfants : "Je vous élève depuis que votre mère est morte", dit-il. "Désormais, vous allez devoir travailler pour vivre".

    - "Nous sommes prêts" répondent les garçons. 

    - "Je vais vous faire un cadeau".

    Le bûcheron ouvre un vieux coffre. "Un génie des arbres me l'a donné parce que j'avais épargné son chêne". Le meuble contient 6 écus d'or, que le père distribue aux six premiers nés. Au fond du coffre, il y a un vieux costume, presque en haillon. "Enfile-le !" dit le père au cadet qui n'a rien eu : "il te portera chance".

    Les aînés dépensent leur écu à s'installer. Ils apprennent un métier : agriculteur, charpentier, berger, menuisier, ferronnier, boulanger. Le plus jeune, qui s'appelle Robin, endosse le costume et part à l'aventure. Sa veste et son pantalon élimés, effilochés, déchirés, rapiécés, lui donnent l'apparence d'un gueux.

    Un matin, dans la forêt où il a passé la nuit, il est réveillé par des cris d'oiseaux. Un geai aux ailes à parements d'azur, l'albâtre et de charbon, s'affole de voir un serpent qui grimpe le tronc de son chêne pour dévorer ses oisillons. Sur le vieux pin voisin, un pic-vert, à la livrée de jade et à la calotte de rubis, lance un appel désespéré : un autre serpent rampe vers le trou où est logée sa famille. Robin brandit son bâton et met en fuite les reptiles, qui bavent leur noir venin sur l'écorce.

    Le geai et le pic-vert se posent sur l'épaule du garçon et lui bécotent le visage. A l'instant, le costume se transforme. La guenille se raccommode, se lisse, se drape, se colore et resplendit des teintes éclatantes qui parent les plumes des oiseaux et le firmament aux différentes heures du jour et de la nuit. On y voit le bleu, le blanc et le noir du geai, le vert et le rouge du pic-vert, l'orange du rouge-gorge, le rose du bouvreuil, le jaune du loriot, l'argent de la Lune, l'or du Soleil, le violet de l'aube, le mauve du crépuscule...

    En prenant le parti des faibles, Robin a fait jouer le sortilège. Le voici devenu "le garçon de toutes les couleurs". Arlequin, il poursuit sa route vagabonde. Il traverse le pays de la Faim et de la Soif (où il subsiste grâce à la manne qui lui tombe dans les mains en le prenant pour un ange, et à la rosée qui perle sur lui en croyant que c'est l'arc-en-ciel).

    Il aborde au royaume du Noir et Blanc, où tout n'apparaît que sous ces deux tonalités extrêmes. Dans le château, vit une princesse dont l'âme est grise. La jeune fille a la peau blanche et les cheveux noirs.  Elle aimerait, sur son visage, voir paraître le rose de l'amour... On l'a compris : l'habit de lumière communique ses nuances à toute la contrée. Et les draps du lit nuptial seront en arc-en-ciel...

    Devenu prince, Robin appelera à la cour ses six frères et son père. Le bonheur régnera sur le pays, aussi longtemps qu'on admirera, dans la forêt, la palette somptueuse des plumes des oiseaux ; et, entre les feuilles, le rose de l'aurore et l'or du couchant.

    arc-en-ciel


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